Les nouvelles en langue francaise pour le mois de mars 2004
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Affichées le mardi 30 mars 2004
                                   
Aristide, parrain de la cocaine en Haiti

Après l’incarcération d’Oriel Jean à Miami, l’agence américaine de lutte antidrogue, la DEA, veut faire « tomber » l’ex-président comme trafiquant.

C’est une piste d’atterrissage impeccablement goudronnée, tout juste achevée _ 1 200 mètres de long, sans tour de contrôle ni éclairage _, entre les bananiers, avec un accès direct à la route qui dessert les plages environnantes. « Les travaux s’étaient accélérés ces derniers mois, mais les trafiquants de drogue n’ont pas eu le temps de s’en servir », raconte Mgr Guy Poulard, l’évêque de Jacmel. Cette petite ville de 50 000 habitants, au sud de Haïti, était devenue l’une des plaques tournantes des « ripoux » de la cocaïne, sous le règne de Jean-Bertrand Aristide.

« Aristide a bouffé les richesses de Jacmel comme un morceau de canne à sucre, les dents devant », explique un habitant. Le président déchu, qui s’est enrichi de 800 millions de dollars en quelques années, risque aujourd’hui de se retrouver derrière les barreaux, tant il est cerné par des témoignages qui le présentent comme l’unique parrain de ce « business » dangereux.

C’est lui qui aurait transformé son pays en plaque tournante du commerce de la drogue, entre la Colombie et les Etats-Unis. Selon les statistiques de la Drug Enforcement Agency (DEA), un cinquième de la poudre blanche consommée aux Etats-Unis, en provenance des cartels colombiens, transitait par Haïti.

Ce trafic soudain s’est interrompu depuis qu’Aristide a fui son pays, il y a un mois. « S’il y a un point positif dans la crise en Haïti, c’est que l’incertitude et le chaos actuels rendent le pays moins attractif pour les cartels colombiens », explique à Port-au-Prince un spécialiste de la guerre contre la drogue, qui requiert l’anonymat.

Au large de Jacmel, deux patrouilleurs américains surveillent désormais les côtes septentrionales de l’île et bloquent les livraisons. A terre, les 2 500 marines et leurs collègues légionnaires français font régner l’ordre jusqu’à Cap-Haïtien, la grande ville du Nord du pays, d’où la drogue repartait vers les Etats-Unis.

La chasse aux trafiquants est maintenant ouverte. Lundi, c’est un gros gibier qui a comparu devant un juge de Miami, menottes aux mains. Oriel Jean, le chef de la sécurité de Jean-Bertrand Aristide au palais de la présidence de la République entre 2001 et 2003, a été incarcéré sans possibilité de verser de caution.

Appréhendé le 12 mars à l’aéroport de Toronto, au Canada, où il tentait de trouver refuge, il a été livré aux Etats-Unis vendredi dernier. Oriel Jean a été l’un des collaborateurs les plus proches d’Aristide pendant une douzaine d’années. Il contrôlait particulièrement l’aéroport de Port-au-Prince, où il prélevait 10% sur la drogue qui y transitait. Son avocat au Canada, Guidy Mamann, affirme qu’Oriel Jean fait actuellement l’objet d’un interrogatoire impitoyable et que le but de la DEA est de faire « tomber » Aristide.

Oriel Jean ne serait pas le premier à « donner » son ancien patron. Ainsi de Beaudoin Ketant, condamné le 25 février dernier à 27 années de prison seulement (les gros trafiquants aux Etats-Unis prennent couramment des siècles de prison, pour éviter les remises en liberté anticipées).

Aristide, en 2003, n’avait pas pu résister aux pressions des Américains : il avait dû expulser Ketant vers Miami (en compagnie d’un certain « Eddy One »). Ketant, lors de son procès, fut condamné à payer une amende de 30 millions de dollars. Surtout, il déclara que Jean-Bertrand Aristide contrôlait 85% du trafic de la cocaïne en Haïti !

« Le témoignage de Ketant a été rendu public par les Américains. C’était là le signe très fort qu’Aristide était lâché par Washington. A ce moment, nous étions sûrs qu’Aristide allait perdre le pouvoir », explique un diplomate européen à Port-au-Prince.

Depuis que George Bush père a lancé une véritable guerre contre les cartels colombiens en 1988, les Etats-Unis n’ont jamais plaisanté avec les chefs d’Etat qui facilitaient ce trafic.

En 1988, Fidel Castro et son frère Raul ont dû sacrifier des collaborateurs très proches, au cours de l’infâme « procès Ochoa », pour se disculper, auprès de la Maison-Blanche, d’avoir transformé Cuba en base de livraison de la cocaïne.

En 1989, c’est Noriega, à Panama, qui tombait sous la même accusation. « Aristide n’échappera pas à son sort, d’autant qu’il agite des chefs d’Etat des Caraïbes, auxquels il est lié par des intérêts financiers, explique un diplomate occidental. Les Etats-Unis ont davantage de moyens de pression sur les pays de la Caraïbe que Sainte-Lucie, Saint-Vincent ou la Jamaïque n’en ont sur l’Amérique, par exemple... »

Jean-Bertrand Aristide, réinstallé au pouvoir à Port-au-Prince par les Américains en 1994, après en avoir été chassé en 1991, a-t-il été renvoyé d’Haïti toujours par les Américains pour avoir transformé son île en paradis des trafiquants ? C’est en tout cas l’une des explications de sa déchéance.

Dès décembre 2003, par la voix de M. Foley, leur ambassadeur en Haïti, les Etats-Unis demandaient à Jean-Bertrand Aristide des explications sur plus de 300 millions de dollars déposés sur des comptes bancaires américains.

Et réclamaient plus fort que jamais des expulsions, dont celle d’Oriel Jean. Cinq jours avant le départ musclé d’Aristide, M. Hawkings, le patron régional de la DEA, arrivait à Port-au-Prince. La DEA, selon des sources diplomatiques occidentales, aurait participé manu militari à l’expulsion musclée hors d’Haïti du curé défroqué devenu dictateur mafieux.

La drogue était au coeur d’une mainmise sur les ressources du pays, organisé par le pouvoir de l’ancien « prophète des bidonville s ».

La police, forte alors de 3 000 à 4 000 hommes (il n’en reste plus qu’un millier), avait remplacé l’armée pour effectuer ce racket généralisé. « Ce sont les policiers du palais présidentiel qui faisaient le travail. Pour la plupart, ils n’avaient pas d’autre activité », confie l’historien Laënnec Hurbon. Jacmel offre un reflet fidèle d’Haïti sous le joug d’Aristide.

A deux heures de route de Port-au-Prince, la petite ville provinciale offre une officine de change qui s’appelle « Fils de Dieu », le centre de formation « La femme vertueuse », la quincaillerie « La main forte de l’Eternel », et l’on va faire ses courses au « Jehovah Multistore » en empruntant un « arrache-poils », un bus sans toit. Mais les sectes protestantes et l’Eglise catholique ne sont pas les seules ici à se livrer une concurrence féroce.

Quatre banques ont établi dans la rue principale des succursales luxueuses. En lisière de l’océan, les villas de dix pièces poussent comme des champignons. Le prix des terrains explose (10 000 dollars américains les 500 mètres carrés). Des réussites surprenantes : comment ce « boeuf charris » (un manoeuvre) a-t-il pu soudainement s’acheter soudain ce gros camion rutilant ?

Comment le sénateur Immacula Bazile, surpris un matin à l’embouchure de la rivière La Grenouillère les bras chargés de sacs de poudre blanche, a-t-il pu s’offrir si rapidement une villa de 300 000 dollars ? Quel étaient ses liens avec un autre sénateur local, Faurel Celestin, qui lui-même travaillait avec Johnny Batroni, qui contrôlait toute la zone, de Bel-Anse et Grand-Gosier ? Qui étaient les « patrons » haïtiens, colombiens ou américains de ces « passeurs » ? « Ils venaient en convoi de Port-au-Prince, avec des voitures non immatriculées de la police, et repartaient aussi vite », se souvient le directeur d’une école locale.

« Une personne honnête n’avait pas sa place dans l’administration mise en place par Aristide », explique Jacques Derival, qui enseigne ici l’histoire. « Il est certain que des tonnes de drogue ont été larguées à Jacmel et à Marigot et que tous les directeurs d’administration publique, les délégués départementaux, les directeurs de la police, les douaniers, les inspecteurs, les commissaires, tous ceux qui occupaient des postes clés à Jacmel ont trempé dans ce commerce.

Le commissariat était tenu par une bande de voyous », ajoute M. Derival. Nos interlocuteurs à Jacmel confirment que, quatre années durant, la cité a vécu un affreux remake de Main basse sur la ville, parce que « la drogue gangrenait le pays », explique un prêtre.

Les 137 communes d’Haïti sont maintenant dans le même état d’abandon que Jacmel puisque « l’Etat voyou » d’Aristide s’est évaporé en quelques jours, la plupart des anciens « responsables » préférant désormais « prendre le maquis », c’est-à-dire changer de domicile tous les soirs.

Le départ d’Aristide, qui a délesté les Haïtiens de leurs richesses, ne les soulage pas pour autant. A qui faire encore confiance ? Où sont cachés les grands voleurs de l’ancien régime, les Nahoum Morallus, « député » de Cap-Haïtien ? Les Dang Toussaint, éphémère directeur de la police en 1995, ancien chef de la sécurité d’Aristide ? Le commissaire Chilly, qui régnait près de Port-Salut ? Ou Roc Exeus, « député » de Bombardo, dans le Nord ?

Même le « libérateur » Guy Philippe, un ancien commissaire de Cap-Haïtien, était en juin 2001 recherché par les Américains pour trafic de drogue... Partout, donc, on se méfie : traditionnellement, l’Etat n’a jamais incarné rien de bon pour la masse des Haïtiens (les autorités, disent-ils, « coupé tête, bouffé caille », « elles coupent les têtes et brûlent les mains »).

En Haïti, les dirigeants n’ont jamais recherché le pouvoir que pour s’enrichir. Jamais pour le partager. Aristide participe de cette funeste tradition en l’ayant poussé jusqu’aux limites de la criminalité. Il laisse derrière lui un Etat sinistré, sauvage, un pays dans lequel personne ne peut revendiquer la moindre autorité morale, surtout pas la police. Comment ressusciter l’espérance générale sans que l’ancien dictateur devenu chef de bande soit un jour prochain jugé pour ses crimes et ses rapines ? François Hauter

Reimprimé du journal Le Figaro du 28 mars 2004. A lire aussi, en englais, Putting former Haitian murderous dictator Aristide in tight handcuffs, whose job is that?

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