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Editorial
                
Affiché le mercredi 29 janvier 2003
              
Sortir du Chaos l'Urgence de la Relève

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Par PHILIP-AXEL DEROSIER, special à wehaitians.com

Les élections législatives et le scrutin présidentiel de l'an 2000, par leur caractère notoirement frauduleux, nous ont fait entrer dans une période de graves turbulences dont nous ne sommes pas près de sortir. Planifiés avec un cynisme consommé à Tabarre tout au long du mandat peu glorieux de René Préval, lequel a été vécu comme une longue veillée d'armes en préparation au retour au pouvoir de Jean-Bertrand Aristide, ils ont ouvert la voie à un quinquennat calamiteux, à une situation d'impasse où nous sommes condamnés à subir dans l'embarras le spectacle quotidien d'un président irrémédiablement discrédité, perdu dans la contemplation mystico-narcissique de son nombril, répétant sans fin pour lui- même un discours lénifiant d'une vacuité effarante qui masque mal son incapacité à concevoir pour notre pays un avenir autre que celui que nous récusons tous: la mise en coupe réglée de notre patrimoine et de notre économie par des médiocres et affairistes en tous genres qui lui sont redevables de leur fortune et de leur carrière. Et, comme si le grotesque et le sinistre ne suffisaient pas à heurter nos consciences de citoyens, on installe insidieusement une terreur toute stalinienne dans nos esprits et dans la trame de notre vie de tous les jours par des apologies non voilées de la violence, des incitations explicitement ciblées au meurtre et des crimes odieux couverts par une impunité assurée et par la complaisance des agents de la force publique qui laissent libres parmi nous leurs auteurs pourtant dénoncés et identifiés, une manière de nous rappeler à chaque instant que les maîtres du jeu sont aussi maîtres des vies et ne plaisantent pas.

L'urgence, aujourd'hui, est de stopper la dictature aristidienne de la même manière que nous avons su mettre un terme en 1986 à la dictature duvaliérienne, d'arrêter ce cirque infernal où nous a entrainés une nébuleuse infâme au service d'un roi fou, d'inventer un autre avenir pour Haïti et pour nous-mêmes. Nous ne pouvons plus rester sans réagir, sans faire usage de notre capacité d'indignation que nous avons, à tort, trop longtemps refoulée. L'Ètat actuel d'Haïti interpelle notre sens civique, celui qui nous commande de ne point cautionner l'inacceptable. L'heure est venue de définir ensemble et sans tarder un projet novateur pour notre pays et d'y rétablir au plus vite un certain nombre de règles, de valeurs et de principes fondamentaux dont notre société a un impérieux besoin pour fonctionner sereinement: la morale publique, le primat de la loi, le prestige et l'autorité de l'Ètat, le respect des institutions démocratiques et de la volonté des électeurs, le droit de chaque citoyen à vivre dans la dignité au sein d'une nation à la fois démocratique, politiquement stable, socialement apaisée et économiquement prospère.

Les enjeux actuels réclament de notre part intelligence et sérénité car il nous faut rectifier, et vite, notre entrée dans le nouveau siècle et opérer sans tarder, dans l'intérêt des générations présentes et futures, des choix qui tiendront compte à la fois des exigences immédiates de notre peuple, qui vit dans une détresse indicible, et des ambitions qui doivent être les nôtres. Cela représente un exercice fort délicat, difficile à engager dans une atmosphère pourrie aussi bien par les travers aristidiens que par nos ressentiments, qui peuvent être légitimes, et nos querelles, autour desquelles il nous faut décréter une trève, une sorte de "paix des braves". Chacun sait que nous ne pouvons ni ne devons plus penser Haïti en 2002 comme nous l'aurions fait en 1950. La nouveauté, ou plutôt le défi, aujourd'hui, est que nous ne pouvons plus concevoir notre avenir collectif dans le cadre désormais éclaté d'un nationalisme étroit et sourcilleux, mais plutôt en situant notre réflexion au triple niveau national, régional et mondial. Le lien le plus sûr entre ces trois niveaux de réflexion ne peut être que ce à quoi nous tardons à qualifier notre pays et ce par quoi nous pouvons, à partir de notre ressort national, gagner notre place dans la région et dans le monde: la démocratie.

Notre combat pour relancer la construction de notre démocratie suppose que nous en finissions avec tous les imposteurs, à quelque camp qu'ils appartiennent, en premier lieu les plus habiles à détourner les faveurs et la ferveur du peuple pour confisquer et hypothéquer notre avenir. Il s'agit d'un combat citoyen, dépassant le simple cadre de la rivalité mettant aux prises l'actuel pouvoir contesté et son opposition et où nous n'avons qu'un seul risque à prendre: celui de dépasser nos peurs, de nous préserver de l'affolement suscité par les violences dont nous sommes victimes et de refaire entre nous la cohésion sans laquelle nous resterons faibles. Il nous appartient de lever en nous certaines inhibitions, notamment par rapport au mythe trompeur de la popularité qui ne vaut rien sans la légitimité, et d'adopter aujourd'hui une solution radicale, la seule qui vaille et qui ait en mÍme temps valeur de mesure de salubrité publique: le renvoi pur et simple du régime aristido-lavalassien pour, ensuite, convoquer le peuple en ses comices pour de nouvelles Èlections générales. Nous n'aurons ni à redouter ni à regretter l'éviction de Jean- Bertrand Aristide et de ses légions de béni-oui-oui: ils partiront dans l'ignominieuse...ivresse du sang versé et des millions mal acquis tandis que nous, nous nous appliquerons à réparer dans les larmes, la douleur et la sueur tout le mal qu'il nous ont causé, guidés par notre seule passion du bien public.

Mais, nous risquerions de revenir très vite à nos démons si nous ne prenions la précaution d'entourer les élections générales, que chacun appelle de ses voeux, d'un ensemble de démarches visant à dessiner une nouvelle Haïti confiante en elle-même, soucieuse de rassembler toutes ses filles et tous ses fils dans le respect des droits et de la dignité de chacun, respectueuse des vies et des biens et attachée au primat de la loi, maîtresse de ses frontières et n'éprouvant aucun complexe à se doter des moyens d'en garantir la sûreté et l'inviolabilité au bénéfice de ses citoyens et de leurs hôtes et engagée résolument et avec optimisme, sans perdre de vue ses spécificités, dans les débats sur la construction de la communauté caraïbéenne et du grand ensemble continental américain. Ces démarches, incontournables, se situent à l'évidence en amont de toute autre initiative ou considération, y compris les appels au déblocage de l'aide internationale venant de lobbies plus que suspects.

Dans le cas qui est le nôtre, un simple changement d'hommes et de régime ne parait ni suffire ni convenir. Notre culture démocratique est trop mince pour que nous prenions le risque d'ouvrir la période électorale sans avoir défini au préalable une sorte d'entité intangible et sacrée, dans le genre de la République en France, que chacun s'engagerait à respecter, défendre et considérer comme le coeur impérissable de notre nation, le socle indestructible de notre démocratie que nous voudrions pérenne. Notre passé récent est trop riche en enseignements sur les dérives en tous genres pour que nous tombions dans l'angélisme qui consisterait à ne pas assortir les charges publiques, même électives, d'un caractère contractuel, avec des exigences de résultats concrets dans un certain nombre de domaines et l'obligation de rendre des comptes devant les représentants du peuple quand ceux-ci le demandent. Enfin, les références éthiques de nombre de prétendants au pouvoir suprême sont trop ténues pour que nous n'ayons à coeur de baliser les voies d'accès aux postes de responsabilité.

L'idée qui s'impose aujourd'hui et que partagent nombre d'Haïtiens, y compris le soussigné, est qu'il nous faut, par une initiative forte, une sorte d'acte fondateur, marquer cette rupture et ce nouveau cap. Il nous faut tenir notre "Convention de Philadelphie" pour jeter les bases d'un nouvel art de vivre ensemble et d'une nouvelle manière de penser notre futur. Cette convention, nécessairement supra- partisane, serait ouverte à toutes les familles politiques, aux représentants des cultes, du milieu associatif, de la presse, des organisations patronales et syndicales, bref, à toutes les forces d'Haïti. Son mandat et ses missions devraient également être clairs: se prononcer sur l'opportunité de reviser la Constitution pour l'adapter à nos exigences de modernité; redessiner la carte électorale du pays; repréciser la place des institutions démocratiques; renforcer et étendre les attributions du pouvoir législatif; redéfinir les contours, les missions et les moyens des institutions dépositaires de la puissance publique et enlever toute attribution judiciaire (ou plutôt extra-judiciaire!) à la police; recomposer l'architecture du pouvoir judiciaire pour mieux en garantir l'indépendance, par exemple en faisant évoluer le lien entre parquet et chambre d'instruction, d'un côté, et pouvoir exécutif, de l'autre; renforcer la protection des citoyens face à la toute-puissance de la police et de la justice en introduisant le principe d'une assistance juridique (présence d'un avocat choisi ou commis d'office) dès la première heure de garde à vue; repenser le processus de décentralisation et en réaffirmer tout l'intérêt pour un meilleur redéploiement de l'action publique, pour la promotion de la démocratie de proximité et pour une meilleure implication des citoyens dans les affaires qui les concernent, en indiquant les niveaux pertinents de compétence qui doivent être ceux des collectivités régionales et locales; innover par la mise en place de nouvelles institutions telles qu'un Conseil d'Etat ou qu'un Conseil Constitutionnel, appelées à jouer le rôle de juridiction administrative ou à se prononcer sur la conformité des nouvelles lois.

Que l'on ne s'y trompe pas: cette convention est la seule voie envisageable pour apaiser les tensions et les passions qui nous dévorent car, ce qui s'annonce et qui ne va pas tarder à se produire, c'est un énième affrontement (plaise à Dieu que ce soit la lutte ultime!), dans le face à face qui dure depuis deux siècles, entre les obscurantistes qui ont vocation à maintenir notre pays dans sa configuration archaïque originelle au profit exclusif de l'éternel syndicat du crime et ceux qui, au contraire, ont fait courageusement le choix résolu de la démocratie et de l'état de droit dans le souci du bien commun. Au début du siècle dernier, ce face à face avait donné lieu à un épisode sanglant entre Nord Alexis, parangon de l'obscurantisme, et Anténor Firmin, digne représentant des forces de progrès. La victoire fut malheureusement du côté du premier. Le prix, particulièrement lourd, en a été, qu'on le reconnaisse, le blocage continu des vraies réformes structurelles et institutionnelles qu'imposait et qu'impose encore notre prétention à un développement durable, la pérennisation de la "république des copains grands mangeurs" à laquelle nous sommes impuissants à substituer une vraie société du travail créatrice de richesses pour tous et source de dignité pour chacun, l'instabilité politique chronique qui nous a valu la flétrissure de deux occupations yankees et la misère endémique qui a fait de nous, deux fois au cours du dernier demi-siècle, la proie de deux populismes scélérats.

Par une de ces répétitions dont l'histoire est coutumière, nous nous trouvons placés aujourd'hui dans une situation et face à des enjeux presque comparables avec, d'un côté, la nébuleuse broyeuse de vies aristidienne et, de l'autre, un pôle démocratique imparfaitement organisé et cible de tous les mauvais coups portés contre lui tant de l'intérieur que de l'extérieur. Faut-il attendre que l'Etranger vienne nous y contraindre pour que nous prenions enfin nos responsabilités? Faut-il attendre, pour nous mettre sérieusement au travail, un très hypothétique déblocage des négociations entre Lavalas, dont la mauvaise foi et la rouerie ne sont plus à démontrer, et la Convergence Démocratique qui, quoi qu'on ait pu dire, a remarquablement contribué à ce que le pôle démocratique continue à exister politiquement? Pour de multiples raisons qui n'échappent à aucun d'entre nous, la réponse est évidemment non. Nous avons des défis à relever et nos priorités ne peuvent plus attendre. Nous ne pouvons nous y consacrer qu'en nous libérant des problèmes d'ego d'un faux messie dont l'étoile a définitivement pâli. Doit-on rappeler que, depuis 1995, notre pays n'a fait que reconduire annuellement et sans adaptation aucune, avec une désinvolture inqualifiable, le budget qui, mieux que tous les discours, représente la grille de lecture et l'échelle de mesure des priorités des responsables publics? Cela en dit long sur le degré de conscience civique et de préoccupation pour le bien public des ténors lavalassiens et de leur chef.

Voulons-nous rester hors du temps et en dehors du monde ou voulons-nous ouvrir notre pays à la modernité, sortir enfin de cette terrible incertitude sur notre avenir, de l'attentisme dans lequel nous semblons nous complaire, de l'inertie qui nous tue lentement? Si nous tenons à mieux débuter le nouveau siècle, à mieux nous préparer aux échéances régionales et continentales qui nous attendent, à être traités avec respect par nos interlocuteurs internationaux, bref, à ruiner définitivement la carrière de l'obscurantisme dans notre vie politique pour sortir enfin de la logique d'affrontement dans laquelle nous nous enfermons et consacrer nos énergies à refonder notre pays dans tous ses compartiments, alors sortons Jean-Bertrand Aristide et sa clique mafieuse, organisons sans tarder notre "Convention de Philadelphie", construisons ensemble un nouveau leadership qui soit à la fois audible, visible et crédible et redonnons vite la parole au peuple électeur. C'est à ce dernier, et à lui seul, qu'incombe le rôle de restaurer un horizon politique plus serein, gage de paix sociale et de progrès économique, en choisissant librement les femmes et les hommes exemplaires, porteurs d'un vrai projet pour Haïti, à qui il souhaite confier son destin. La relève est à notre portée, elle est à ce prix, celui d'une mobilisation citoyenne, elle sera démocratique ou elle ne sera pas.

Philip-Axel Desrosiers

philip705@hotmail.com 

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