French Forum - Lettres, notes de presse, etc. du mois de juillet 2003
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Editoriales
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Affiché le mardi 15 juillet 2003
              
Discours
         
Discours prononcé par M. David Lee, chef de la Mission Spéciale de L'OEA
                  
14, juillet, 2003

LORS DE L'OUVERTURE DU SÉMINAIRE DE IFES SUR LE JOURNALISME D'ENQUÊTE

Hotel Plaza, Port-au-Prince le 14 juillet 2003

Travailler à développer une presse d'investigation efficace, voilà l'opportunité qu'offre le séminaire qui s'ouvre ce matin, organisé par IFES en collaboration avec les Associations de journalistes et de médias de la République, et auquel j'ai l'honneur d'être associé au nom de la Mission Spéciale de l'OÉA. Je suis heureux de constater aussi que tout l'éventail que compte la République en termes de média se trouve bien représenté aujourd'hui. Félicitations !

Le pilier Justice de notre Mission a accepté de s'associer à IFES et la Police Technique et Judiciaire de la PNH, en préparant sur le plan technique deux séances de ce premier séminaire : (1) la première portant sur l'abordage du journalisme d'enquête dans le cadre de la lutte contre l'impunité et (2) la seconde sur la sensibilisation des participants aux techniques scientifiques d'enquêtes criminelles, à la police judiciaire et au recours à la preuve scientifique en matière pénale.

Pourquoi ces sujets ?

D'abord pour l'intérêt que manifeste notre Mission pour la question de la presse indépendante et de l'exercice de la liberté d'expression et d'information. La MS n'a cessé de rapporter depuis ses débuts les actes d'intimidation et de violence perpétrés contre les membres de la presse ou contre des médias au cours de la dernière année-par exemple, Radio Haïti-Inter, Radio Schekina, Radio Métropole, Radio Quisqueya, Radio Caraïbes, ou encore Radio Maxima de Cap Haïtien, pour n'en citer que quelques-uns.

Le Secrétaire général de l'Association des journalistes haïtiens (AJH) a rapporté que jusqu'à 30 journalistes ont dû quitter précipitamment Haïti pour échapper à la persécution dont ils ont été l'objet au cours des deux dernières années. Six des sept journalistes qui se sont mis à couvert le 21 novembre 2002 pour échapper à la persécution organisée par Amiot Métayer aux Gonaïves ont quitté le pays en février 2003.

Toutes ces situations, et bien d'autres encore, car là aussi la liste est loin d'être exhaustive, sont l'objet d'attention soutenue par la Mission spéciale par la voie de ses rapports et communiqués de presse. La Commission interaméricaine des droits de la personne, plus précisément le Rapporteur spécial de cette Commission en matière de liberté d'expression, a lui aussi souligné à de nombreuses reprises sa profonde préoccupation face aux menaces de plus en plus fréquentes contre les journalistes en Haïti.

À cet égard, je ne peux pas passer sous silence les évènements du samedi 12 juillet. Tout Haïtien, toute Haïtienne a le droit de visiter tous les coins publics du pays, selon les termes de la Constitution et de la Loi. La Police a l'obligation de protéger et de servir tous les citoyens du pays. Nous déplorons tout acte de violence, que ce soit dans le Plateau Central, à Péligre, par des individus armés, que ce soit à Petit Goâve, au Cap Haïtien, aux Gonaïves, ou que ce soit ailleurs. En l'occurrence, nous déplorons les actes d'intimidation et de violence, des jets de pierres et de blocage, faits par des personnes et groupes organisés face à un groupe qui voulait visiter le Cité Soleil, et qui avait fait toutes les dispositions appropriées pour ce faire. La Mission Spéciale, qui n'a aucun intérêt politique dans les affaires internes du pays et qui n'appuie aucun groupe politique haïtien, était présent comme observateur selon les termes de son mandat dans la Résolution CP/822, c'est-à-dire pour surveiller et faire rapport. Nous transmettons nos sympathies à tous ceux qui ont été blessés, y compris les journalistes. Il est à regretter que la Police, bien qu'informée à l'avance, n'était pas présente en assez grand nombre pour empêcher les dérapages. Nous faisons appel à tous les Haïtiens et Haïtiennes à démontrer du respect humain pour les opinions, la liberté de mouvement et d'expression, ainsi que les options politiques des autres citoyens et citoyennes de ce pays.

Monsieur le Président, Tous les cas de violations des droits humains dans le secteur des médias et de la presse posent elles aussi avec acuité le problème de l'impunité. La MS a jugé bon de proposer ces deux thèmes de formation précisément en raison de l'importance que revêt la lutte contre l'impunité en ce moment pour vous comme pour la société en général.

Il sera impossible d'éviter de se pencher sur ces aspects de l'impunité si l'on veut arriver à sortir de l'impasse dans laquelle se trouve le processus de résolution de la crise actuelle en Haïti. Et pour cela il faut compter sur un public bien informé.

Quel est votre rôle, gens de la presse et des médias ? Il faut du journalisme d'investigation solide et professionnel, spécifiquement dans ce domaine des droits humains, comme dans tous les autres, mais peut-être encore davantage sur cette question de l'impunité et dans le domaine de la justice !

Le phénomène de l'impunité est caractérisé par l'absence d'investigation, de jugement et de réparation des violations flagrantes des droits de l'homme. Il a un caractère multidimensionnel. L'examen de la situation en Haïti montre que l'impunité ne relève pas seulement d'opposition à la connaissance de la vérité, à la distribution de la justice et à l'octroi de la réparation due aux victimes.

En Haïti, des causes factuelles et structurelles ont aussi toute leur importance. Ces causes sont d'ordre politique et fonctionnel d'une part, et historique et social, d'autre part. L'ensemble de ces éléments contribue à faire de l'impunité un phénomène complexe.

La question de la lutte contre l'impunité touche à des domaines aussi divers que le fonctionnement du système judiciaire, la volonté du législateur et des gouvernants à dessiner une stratégie politique claire et à la mettre en ?uvre ou encore la capacité des organisations de la société civile à stimuler les actions de l'État et à l'opinion publique de jouer son rôle déterminant. De là le rôle essentiel des médias.

L'impunité de fait, et tout d'abord celle qui résulte de l'absence d'une mise en oeuvre systématique et cohérente d'une politique en matière de poursuites criminelles. Cette impunité de fait est constituée par des obstacles administratifs ou autres tels le mauvais fonctionnement de la chaîne pénale qui facilite la perte ou l'oubli des dossiers, la difficulté à réaliser des arrestations, la faiblesse de l'assistance juridique et de l'information sur le fonctionnement de la justice, l'absence ou la mauvaise qualité des enquêtes, le non recours à des moyens scientifiques de preuve ainsi que les problèmes du déroulement des procès et d'exécution de la peine.

De là aussi les pressants besoins d'intervenants et de professionnels du domaine journalistique bien férus du système judiciaire haïtien et de médias plus spécialisés dans le domaine.

Voilà pourquoi nous avons choisi les thèmes du journalisme d'enquête dans le cadre de la lutte contre l'impunité et de la sensibilisation aux techniques scientifiques d'enquêtes criminelles, à la police judiciaire et au recours à la preuve scientifique en matière pénale. Des questions clé pour mieux lutter contre l'impunité.

Cette lutte en est une de tous les instants, avec des avancées et des reculs. Ce qu'il faut maintenant en Haïti, c'est de s'assurer aussi d'une bonne connaissance publique de la vérité. Voilà où vous, journalistes et gens des médias, pouvez faire la différence, pour le plus grand bien des citoyens ; assurer une meilleure connaissance par l'opinion citoyenne, pour mieux garantir la non répétition des violations et le strict respect de la dignité humaine.

Encore une fois bravo IFES pour cette série de séminaires qui s'inscrivent dans les nombreux efforts des professionnels haïtiens du journalisme de s'organiser et de se professionnaliser au cours des dernières années. Bon travail, et encore une fois bon courage!

                                                     
Affiché le vendredi 11 juillet 2003
                                   
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Discours
Discours de l'ambassadeur sortant des Etats-Unis en Haiti Brian Dean Curran lors de la soirée d'adieu organisée par la HAMCHAM le 9 juillet 2003

Monsieur le Président de la HAMCHAM

Messieurs/Dames les Membres du Conseil d'Administration de la Chambre de Commerce Américaine d'Haïti

Messieurs/Dames les Membres du Cabinet Ministériel

Messieurs/Dames les Membres du Corps Diplomatique

Chers invités, chers amis, C'est un grand honneur d'être avec vous ce soir et de partager quelques réflexions personnelles sur mes deux années et demie passées en Haïti. Je veux remercier Philippe Armand pour son aimable introduction et le féliciter pour les initiatives qu'il a déjà prises en tant que président de la HAMCHAM, notamment la création d'un forum entre les Chambres de Commerce Américaines des deux côtés de l'île.

C'est une preuve de plus que la HAMCHAM est l'association d'entreprises privées la plus dynamique en Haïti.

J'ai eu une proche association avec la HAMCHAM depuis mes premiers jours en Haïti. Une semaine à peine après mon arrivée en Janvier 2001 comme Ambassadeur en Haïti, je m'asseyais avec le Conseil de Direction et son président d'alors, Gladys Coupet, pour commencer mon éducation sur les réalités du monde des affaires en Haïti. Depuis, je n'ai eu que les meilleures des relations avec la HAMCHAM, sous la présidence de René Max Auguste, de Cedrick Bouquety et maintenant celle de Philippe Armand. Pourtant, je me demande comment j'ai pu travailler avec quatre présidents, dont le mandat est d'un an, alors que je suis au pays depuis seulement deux ans et demi. Comptabilité dynamique, je suppose. En tout cas, il y a eu moins de présidents de la HAMCHAM pendant mon temps en fonction qu'il n'y a eu de Directeur Général de Police. Et tous ont été élus dans la transparence et aucun n'a dû fuir le pays.

Philippe et le Conseil m'ont demandé de partager mes réflexions personnelles sur les 30 derniers mois. Et je suis heureux de le faire. A mesure que je réfléchissais sur le thème de mes remarques de ce soir, j'ai dû me rendre à l'évidence que la leçon la plus importante que j'avais apprise durant ces deux années et demie est que je ne savais pas grande chose, que j'avais encore beaucoup à apprendre. Je sais et je comprends certainement que le pays est en proie à une crise fondamentale depuis quelque temps. Bien que nous autres de la communauté internationale ayons tendance à nous concentrer sur la crise politique, je comprends aussi que la crise est beaucoup plus profonde. Elle est aussi économique; elle est aussi humanitaire; et elle est aussi morale.

Et à mesure que j'essaye de comprendre ces crises, ma logique américaine y voit des inconsistances et des incohérences.

Commençons par la crise politique.

Les aspects fondamentaux sont connus de tous. Fraude électorale. Violation des droits humains. Intolérance. Impunité. La solution est aussi connue de tous : de nouvelles élections. Mais comment en arrive-t-on là ? Les négociations ayant (pris fin) au cours de 2002, l'OEA a par la suite tracé une feuille de route menant aux élections. La Résolution 822. La Communauté Internationale a peaufiné et interprété cette feuille de route en un document de la délégation de Haut Niveau OEA/CARICOM qui est venue en visite en mars dernier. Cette approche a été reprise par l'Assemblée Générale de l'OEA à Santiago. Ce que je n'arrive pas à comprendre c'est la raison pour laquelle le gouvernement ne saisit pas l'occasion offerte par les efforts que fait la Communauté Internationale pour trouver une issue à l'impasse politique. Ce qui est demandé n'est pas une capitulation ou une réforme en profondeur, mais le changement. Des signes clairs et concrets que les violations des droits humains, l'intolérance, l'impunité prendront fin pour que des élections non frauduleuses puissent avoir lieu. Ce qui est demandé n'est pas excessif. Comme l'a remarqué un éminent ministre des Affaires Etrangères du CARICOM : « Ce qui est demandé est ce que ferait n'importe quel gouvernement décent. »

Si le gouvernement n'agit pas bientôt, l'OEA devra réévaluer son rôle. Une telle réévaluation a été proposée par le Secrétaire d'Etat Colin Powell à Santiago et acceptée par l'OEA dans la Résolution 1959. Il n'est pas possible de prédire ce que seront les résultats de cette réévaluation. Personnellement, je ne crois pas que l'OEA voudra ou pourra conclure d'abandonner Haïti. Je ne crois pas non plus que l'OEA voudra transférer cette patate chaude qu'est Haïti aux Nations Unies, déjà surchargées. Ce que je crois qui en résultera sera une redéfinition du rôle de l'OEA qui pourrait inclure un effort renouvelé de la part de l'OEA de négocier une entente.

Ceci met en relief une des incohérences fondamentales dans l'approche haïtienne à la crise politique : le sentiment, ou l'espoir, ou la crainte que la seule solution en serait une imposée internationalement. L'OEA, les Nations Unies, Les Marines, tout ça, pour moi, n'est qu'un laborieux marronage. Il incombe aux Haïtiens la responsabilité de trouver une voie de sortie. Une solution haïtienne est la seule qui soit durable. C'est pourquoi je continue de croire qu'un grand compromis historique entre le gouvernement, l'opposition politique et la société civile est nécessaire, même inévitable. Les Etats-Unis et la Communauté Internationale peuvent appuyer un tel compromis, l'OEA peut même faciliter des négociations pour y aboutir. Mais son succès repose sur une entente haïtienne entre Haïtiens. N'est-il pas temps de mettre les partisaneries de côté, de penser au sort du peuple haïtien qui souffre de cette crise, de penser aux enfants d'aujourd'hui, les leaders de demain, qui grandissent dans cette atmosphère de crise et de 'méfiance' ?

Bien qu'il soit vrai qu'il revienne au gouvernement la responsabilité première d'établir un climat de sécurité, je veux profiter de cette occasion pour rappeler à l'opposition politique et à la société civile que nous continuons d'espérer qu'ils s'engagent activement et visiblement dans le processus d'une manière positive et que, une fois les étapes concrètes demandées par la délégation de haut niveau franchies, ils participeront à la formation d'un CEP. La sécurité ne sera pas parfaite, elle ne pourra jamais l'être. Mais toutes les parties devraient démontrer leur volonté de faire partie de la solution et non de contribuer au problème, en agissant une fois que des mesures raisonnables seront en place.

Aux Etats-Unis, nos partis politiques cherchent à unir des points de vue disparates sous une bannière électorale la plus large possible. En Europe de l'Est, c'était une large coalition opposée au totalitarisme qui a fait tomber les régimes communistes les uns après les autres. Par la suite, les diverses composantes idéologiques de ces coalitions sont métamorphosées en partis politiques plus traditionnels de droite ou de gauche. En regardant la Convergence Démocratique aujourd'hui, je crois qu'il serait juste de dire que leur unité demeure remarquable. C'est pourquoi il est difficile pour moi de comprendre pourquoi aujourd'hui, avant d'engager l'inévitable bataille électorale avec Fanmi Lavalas, ils se subdivisent en partis idéologiques. Suis-je en train d'appliquer trop de logique américaine en pensant que 'l'union fait la force' s'applique à la politique électorale aussi bien qu'à autres choses? Peut-être. Mais c'est l'unité électorale qui compte et si c'est toujours possible entre plusieurs partis ou groupements idéologiques, tant mieux. Après tout, la démocratie ne veut pas simplement dire des alternatifs, mais des alternatifs viables.

Il y a une autre incohérence qui m'a beaucoup vexé : l'incohérence dans la manière dont les vues de Washington sont interprétées ici. Ceux d'entre vous qui me connaissent savent bien que depuis mon arrivée ici en tant qu'ambassadeur du Président Clinton, puis du Président Bush, j'ai toujours parlé franchement, clairement de la politique des Etats-Unis et de ce que pourraient être ou non les nouvelles directions de cette politique. Mais il y en avait beaucoup en Haïti qui ont préféré ne pas m'écouter, le représentant du Président, mais écoutaient plutôt leurs propres amis à Washington, les sirènes des extrémistes ou des revanchards d'un côté ou celles des apologistes de l'autre. Ils n'ont pas de fonctions gouvernementales. C'est pourquoi je les appelle les chimè de Washington. Jetez un coup d'oil sur les deux dernières années et si vous en faites une é valuation honnête, j'espère que quand vous voudrez comprendre la politique américaine, vous écouterez mon successeur, un diplomate de carrière éprouvé et cohérent, et non pas les chimères.

Ceci dit, permettez-moi, encore une fois, d'être clair et cohérent concernant la politique américaine en Haiti. Les Etats-Unis acceptent le Président Aristide comme président constitutionnel pour la durée de son mandat qui prendra fin en 2006. Nous estimons que les élections législatives et territoriales de mai 2000 étaient entachées d'erreurs et que le gouvernement haitien a la responsabilité première de les rectifier. Nous avons vigoureusement appuyé les efforts de l'OEA en vue d'arriver à un compromis négocié entre les parties qui doit conduire à de nouvelles é lections. Dans le cadre de la résolution 822 de l'OEA, nous avons appuyé une feuille de route pour la tenue des élections et la normalisation des relations d'Haiti avec les institutions financières internationales. Nous continuons d'appuyer la résolution 822 et, en particulier, les demandes formulées par la délégation de haut niveau CARICOM/OEA en vue d'établir des é tapes spécifiques et concrètes pour créer les conditions préalables à la formation d'un CEP crédible, indépendant et neutre chargé d'organiser les é lections. A notre avis, le gouvernement n'a pas encore satisfait à d'importants éléments des demandes formulées par la délégation de haut niveau, notamment l'arrestation d'Amyot Métayer qui, en toute vraisemblance, continue de jouir de l'impunité officielle; la professionnalisation du leadership de la PNH, en consultation avec la mission spéciale de l'OEA (nous ne croyons pas que la récente nomination d'un nouveau chef de police satisfait à cette demande); et le lancement d'une campagne crédible de désarmement des escortes illégales et des bandes armées. Si le gouvernement adopte ces mesures, nous nous attendons à ce que l'opposition et la société civile participent à la formation et au fonctionnement du CEP. Les Etats-Unis et, à notre avis, nos partenaires internationaux, supporteront un tel CEP ainsi que l'organisation d'élections libres et justes.

Je pense que tout ceci est clair. C'est-à-dire les objectifs sont clairs même si le processus pour y arriver peut sembler obscur. Pour moi, je crois que le processus comportera un grand compromis historique entre le gouvernement, l'opposition politique et la société civile pour produire les changements nécessaires au sein du gouvernement, dans la police, dans le système de justice et dans l'environnement politique devant conduire aux é lections législatives et territoriales. Il est difficile de savoir maintenant si ce compromis sera le résultat de l'appel au dialogue lancé par le Président Aristide le 4 juillet dernier, d'une initiative interne de la société civile ou d'éléments de la société civile, ou le résultat d'un redoublement d'efforts au niveau de la médiation de l'OEA. Les Etats-Unis appuieront les efforts qui visent sincèrement à trouver un compromis devant conduire à des élections libres et justes.

M. Le Président, Mesdames, Messieurs,

Les Etats-Unis sont un pays constitutionaliste. C'est une des raisons qui a fait que les Etats-Unis ont passé à l'action pour restaurer l'ordre constitutionnel en 1994. L'hémisphère est aussi constitutionaliste, ceci est clairement énoncé dans la Charte Démocratique Interaméricaine. Aussi, nous sommes profondément préoccupés aujourd'hui quand nous voyons des ballons d'essai qui prévoient l'amendement de la constitution de 1987 de manière à pérenniser le régime. Après les années de cauchemar de la dictature duvaliérienne, cette constitution avait été élaborée précisément pour empêcher une telle perpétuité. Changer ces éléments de la constitution particulièrement à travers des actes d'un parlement élu de manière douteuse serait, à mon sens, fondamentalement déstabilisant et incohérent et pourrait même mettre en question la légitimité du régime.

J'espère que les têtes froides prévaudront. Et j'espère que l'ultime incohérence, la nostalgie de l'ère duvaliérienne, n'induise personne à appuyer financièrement ou autrement, aucun rôle politique pour Jean Claude Duvalier. Le passage du temps ne devrait pas effacer les crimes. Les pages de l'histoire ne peuvent pas être retournées.

Cherchez de préférence parmi vos incroyablement talentueux jeunes professionnels éduqués à Harvard, Columbia, Stanford, Georgetown et autres universités américaines, à la Sorbonne ou l'HEC, à McGill ou Laval, pour une nouvelle génération de leadership politique, éprouvés dans le creuset des idées modernes, mais maintenant en Haïti, préparant un meilleur avenir pour Haïti et non la pérennité, la nostalgie ou la revanche.

Passons à la Crise économique

La crise économique est une crise que cet auditoire connaît beaucoup mieux que moi. Nous sommes à la troisième année d'une croissance négative, la gourde a baissé de 56% depuis mon arrivée ici le 4 janvier 2001; l'investissement international est tombé à zéro pratiquement, l'épargne domestique est à la baisse, le déficit budgétaire est de 3,25% du PIB pour l'année fiscale en cours, les profits sont à la baisse, les faillites sont à la hausse.

Le récent accord avec le FMI, le Staff Monitoring Program, est un signe encourageant. Mais il y a des voix qui s'élèvent pour le critiquer et introduisent l'incertitude dans le système financier; ceci ne me paraît pas cohérent. Une des raisons principales pour la normalisation des relations de coopération entre Haiti et les institutions financières internationales, c'est d'obtenir les outils, tels les audits indépendants et de subventions de coopération technique, grâce auxquels la bonne gouvernance économique peut être encouragée et renforcée. Le Staff Monitoring Program a été signé le mois dernier et a pris effet dès le 1er avril. Les premiers signes de conformité du côté du gouvernement sont encourageants et une équipe du FMI ici maintenant s'assure que le budget pour l'année fiscale 2004 respecte les lignes directrices du Fonds. Nous devons être vigilants, bien sûr, mais encourageants, si nous voulons bien et bel sortir de la crise é conomique.

Parallèlement, la reprise des prêts de la BID, après le paiement des arriérés cette semaine, exigera des mesures de transparence accrûe et des audits répétés des dépenses. Ceci est un créneau d'opportunité et Haïti, et la communauté des affaires en Haïti devrait, à mon avis, saisir cette chance d'arrêter le déclin économique et de préparer la croissance.

Mais ceci ne suffit pas. Vous êtes sûrement d'accord avec moi que la clé demeure l'investissement privé. Premièrement, l'investissement international de même que l'investissement local, ne pourra décoller dans un climat d'insécurité. L'impunité des criminels est une pierre au cou de l'économie haïtienne. Deuxièmement, les affaires, le commerce ont aussi besoin d'un système judiciaire indépendant et fort et d'une police qui n'est ni politisée ni corrompue. Quand la justice est à vendre, les droits des individus en pâtissent. Une économie de marché libre dépend des droits de propriété et de l'exécution des contrats. Parfois, des compagnies américaines viennent à l'ambassade pour rapporter des cas où leurs propriétés ont été saisies par des gangsters ayant des affiliations politiques ou simplement par des squatters. Dans plusieurs cas, l'investisseur américain a eu gain de cause au tribunal, mais les décisions ne sont pas exécutées. La loi nous fait obligation d'avertir les autres investisseurs potentiels de ce problème et vous pouvez bien vous imaginer l'effet de douche froide que cela produit sur ceux qui auraient choisi d'investir en Haïti. En fin de compte, c'est Haïti qui bénéficie le plus de l'adhésion à l'état de droit et aux institutions judiciaires renforcées.

Il y a un peu plus de deux ans, tout juste après mon arrivée en Haïti, j'avais eu l'honneur de faire pour la première fois un discours à la Chambre Américaine de Commerce en Haïti. A cette occasion, dont je me souviens comme si c'était hier, l'un des domaines sur lequel je me concentrais le plus était la nécessité d'un dialogue entre le secteur privé et le gouvernement : concerté, structuré, ciblé, mené de manière à débattre de thèmes relatifs à l'investissement, à la création d'emplois, à la croissance et à la diversification de l'économie haïtienne. Hélas, nous n'y sommes pas encore. En fait, nous en avons pour un bon bout de temps.

Tandis que je me prépare à boucler mon terme ici, je suis quand même satisfait de certains pas très importants qui ont été faits vers l'avant. Le développement l'année dernière de l'Agenda national des Affaires, coordonné par le Centre pour la Libre Entreprise et la Démocratie (CLED) avec l'assistance du Centre pour l'Initiative Privé (CIPE), était un de ces pas en avant. Car cet exercice a rassemblé, virtuellement sans exception, toute la gamme des intérêts du secteur privé de Port au Prince ainsi que des villes secondaires, ceux de la production à ceux des industries de service; des exportateurs aussi bien que des producteurs pour le marché local- pour se mettre d'accord sur un ensemble d'actions concrètes nécessaires de la part des autorités publiques pour faciliter les activités commerciales dans le court et le moyen terme. Et la semaine dernière, un autre pas important était fait avec la présentation par le CLED de « Haïti 2020 : vers une nation compétitive ». Ce document va bien au delà d'une simple compilation des divers conférences internationales, ateliers thématiques et séminaires que Forum 2000 a organisés pour 1200 participants.

Mais «Haïti 2020» ne prétend pas être une Bible. Au contraire, il devrait ê tre vu comme une ouvre en cours, comme le lancement d'une discussion vraiment nationale autour de sujets qui en constituent le noyau, un questionnement des actions proposées et un ajustement au niveau de certaines des solutions proposées. En tant que tel, Haïti 2020 n'appartient plus au CLED ou au secteur privé et autres groupes de la société civile qui ont contribué à sa création. L'importante campagne radiophonique qui doit débuter plus tard ce mois autour de ce document -- avec des semaines de présentations et de discussions autour de chaque chapitre, suivi ensuite d'antennes libres aux auditeurs pour qu'ils expriment leurs opinions et puissent discuter -- vise en effet, la formulation de politiques publiques, mais c'est aussi une manière d'écouter attentivement ce qui constitue les priorités pour les autres.

Haïti peut être une nation compétitive, avance «Haïti 2020», mais pour qu'elle le soit, elle doit s'attaquer, de front et avec un consensus national opérationnel, à toute une gamme de tares historiques; éducation et santé, c'est-à-dire le développement du capital humain; l'environnement; une gestion macroéconomique saine, comprenant un engagement réel pour une mobilisation équitable des ressources publiques; la justice et la primauté du droit; la modernisation du système financier comprenant un é largissement, une ouverture vers des entrepreneurs jusqu'ici exclus; la modernisation de l'Etat ainsi que l'éradication de la corruption à tous les niveaux; l'acceptation à bras ouvert des horizons économiques, techniques, sociaux, culturels qu'offre la diaspora haïtienne, pour n'en citer que quelques uns. Plusieurs de ces impératifs sont autant de conditions pour qu'Haïti jouisse des privilèges d'échanges commerciaux élargis compris dans la proposition de loi intitulée "Opportunités de Relance Economique d'Haïti" HERO, si elle devient loi.

Voilà une approche cohérente. Que le monde des affaires accorde ses violons pour entrer en dialogue avec le gouvernement en vue de concrétiser les recommandations de «Haiti 2020» et l'Agenda du Secteur Privé des Affaires.

La Crise humanitaire

Pour moi, la crise humanitaire est différente de la crise économique quoiqu'elle y soit liée directement. Elle est visible dans les statistiques de santé du pays. Une mortalité infantile de 80 pour mille, la mortalité maternelle de 523 pour 100.000. Deux Cent Cinquante Mille (250.000) Haïtiens sont séropositifs et 250.000 autres Haïtiens sont mort du SIDA et de ses complications depuis le début de l'épidémie. Les victimes du SIDA sont estimées maintenant à tout juste moins de 30.000 par an et il y a plus de 150.000 orphelins du SIDA en Haïti. Elle est visible dans le taux de scolarité le plus bas de la région avec un taux d'inscription de 64% au primaire et de 20% au niveau secondaire. Seulement 32% des enfants qui commencent la première année arrivent à la huitième. Vous la voyez aussi dans le taux d'analphabétisation dans les proportions africaines- 48% d'analphabétisation adulte -- beaucoup plus élevé dans le monde rural. En effet, dans l'indice de Développement Humain des Nations Unies publié récemment, Haïti figure à la 150ème place sur 175. Seuls vingt-cinq pays d'Afrique ont fait pire et évidemment Hait est le pays le moins développé de tous les pays de l'hémisphère. Encore plus préoccupant, les Nations Unies ont aussi récemment fait un urgent appel d'assistance humanitaire en raison de la sécheresse persistante dans le Nord-ouest et les sécheresses intermittentes du Nord Est et du Plateau Central. Si donc la situation actuelle périlleuse est en train de se détériorer davantage, nous avons tous l'obligation d'agir.

Aux Etats-Unis, nous voyons les effets de la crise aussi en terme d'un accroissement régulier du flot d'immigration illégale. Pour la plupart, ces immigrants illégaux se dirigent vers la République Dominicaine, la destination traditionnelle. Mais, avec l'économie dominicaine souffrant du plus faible taux de croissance depuis des années et secouée par un scandale bancaire de proportions pharamineuses, la disponibilité d'emplois pour les Haïtiens est pour le moins problématique. D'où la préoccupation grandissante des Bahamas -- où un tiers de la population est déjà haïtienne -- et des Etats-Unis.

Tout juste le weekend dernier, nous avons rapatrié 464 immigrants illégaux à Port-au-Prince. Est-ce le début d'une nouvelle tendance ? Avons-nous atteint le seuil critique dans le monde rural où la désespérance et l'espoir l'emportent sur les maigres chances d'un voyage de six jours vers la Floride du Sud dans un bato po pistach ?

Nous autres de la communauté Internationale devrons avoir une approche cohérente à cette crise humanitaire. Les Etats-Unis ont augmenté leur assistance cette année à Haïti. Les zones sources de migration traditionnelle seront particulièrement ciblées par cette assistance. Comme vous le savez, notre programme d'assistance est caractérisé par un refus de traiter directement avec le gouvernement pour des raisons politiques. L'assistance américaine est acheminée au peuple haïtien par le biais des ONG et du secteur privé. Nos amis Européens ont eux aussi décidé de ne pas aider directement le gouvernement d'Haïti à cause de la crise politique. Nos amis Canadiens ont adopté une approche similaire. Mais tandis que nous sommes tous en train de réduire notre assistance au gouvernement, nous devons garder en tête les besoins humanitaires croissants de la population. La communauté internationale aussi doit être moins incohérente dans son approche et j'espère que nos amis continueront et même augmenteront leurs programmes existants d'assistance généreuse directement au peuple haïtien. C'est ce que nous faisons. Est-ce pourquoi nous encourageons la BID à être prête à agir rapidement mais d'une manière appropriée, maintenant que les arriérés sont réglés. La Banque Mondiale ne devra pas être loin derrière.

Dans ce contexte, je note que le gouvernement prépare une nouvelle loi pour gérer le fonctionnement des ONG. Des règlements plus clairs, la transparence dans les déclarations de douane, les exemptions fiscales correctes sont les bienvenues. Mais que ces nouvelles réglementations ne deviennent pas une forme de harcèlement de ces organisations qui font tant pour acheminer l'assistance et l'aide nécessaire au peuple haïtien.

Si nous avons une obligation morale d'aider le peuple haitien, nous devons aussi nous pencher un moment sur la crise morale qui sévit dans le pays.

La crise morale

J'ai été frappé par les deux dernières déclarations des Evêques Catholiques d'Haïti. Le 30 Novembre 2002, ils avertissaient que le navire de l'Etat se dirigeait vers un désastre et préconisaient des mesures de redressement. Le 23 juin de cette année, les évêques allaient plus loin et décriaient la crise morale et éthique croissante sévissant dans le pays, notant que la nation était en péril.

Je suis d'accord avec le diagnostic des évêques sur la crise morale. Je ne comprends pas ce qui est advenu des valeurs morales quand un sénateur critique des déclarations de ses collègues et est ensuite sujet à une intimidation psychologique, est menacé d'expulsion de son propre parti et même d'une interdiction temporaire de départ.

Je ne comprends pas ce qui est advenu des valeurs morales lorsque des sénateurs réclament l'arrestation d'un ex chef de Police parce qu'il a osé critiquer ou « lancer des flèches ». Je ne comprends pas ce qui est advenu des valeurs morales quand des officiels élus profitent de la vente des commodités de base au peuple Haïtien, au détriment des contribuables.

Je ne comprends pas ce qui est advenu des valeurs morales quand les démunis sont encouragés à investir dans une arnaque de coopératives bidons et ensuite perdent tout ou presque tout leur argent alors que les arnaqueurs corrompus se tirent d'affaires avec la complicité de certains officiels. Je ne comprends pas ce qu'il est advenu des valeurs morales de la société lorsque le trafic de drogue est toléré. Et je ne parle pas seulement du secteur public. Ceci est un sujet qui nous affecte tous. Ou du moins, il le devrait. Considérez les résultats d'une enquête qui montre qu'en 2000, trente pour cent (30%) des élèves Haïtiens du secondaire avaient accès à la drogue et que beaucoup d'entre eux en avait usés. Ou alors l'étude de la USAID de l'année dernière qui montre que l'usage de la marijuana et de la cocaïne a augmenté de 30% en un an. Parents d'Haïti ! Réveillez vous! Le problème de la drogue n'est pas un problème de Lavalas, ou du gouvernement, ou des Etats-Unis. Il est devenu votre problème et peut vous ravir vos propres enfants. Mais quelle a été la réaction de la communauté des affaires, de la société civile à ce fléau? Franchement, je ne sais pas. Mais je sais que les trafiquants sont bien connus. Vous êtes probablement au courant d'un sondage récent d'HaitiScopie dans lequel 39% des répondants disaient savoir, avant qu'il ne soit arrêté, que Jacques Ketant était un trafiquant de drogue - oui les trafiquants de drogue sont connus. Ils s'approvisionnent dans vos magasins, vous leur vendez des maisons ou leur en construisez de nouvelles, vous prenez leurs dépôts, vous éduquez leurs enfants, vous les élisez à des postes dans les chambres de commerce.

Cette bataille ne peut être laissée au gouvernement. Sans l'appui de la communauté, nous ne pouvons pas gagner. Mais nous persévèrerons, nous ne pouvons pas accepter l'intolérable, nous ne serons pas complaisants. A cet effet, nous venons une nouvelle fois de révoquer les visas de trafiquants haitiens. Des officiels chevronnés des deux pôles du spectre politique; des agents de police; des hommes d'affaires et leurs familles.

Mr. Le Président, Mesdames et Messieurs

A mesure que nous approchons de 2004, nous devrions anticiper une célébration digne de la portée universelle de l'Indépendance Haïtienne de 1804. Mais au cour de ces crises, particulièrement politique et morale, la célébration encourt un danger. Mon pays, pour ne citer que lui, se considère un cousin historique d'Haïti. Pourtant, nous ne pourrons que très difficilement envisager une délégation de haut rang aux festivités de l'année à venir si la situation ne s'améliore pas, si les conditions ne sont pas créées pour la formation d'un conseil électoral, si nous ne sommes pas assez avancés dans les préparatifs pour les élections en 2004 qui pourraient sortir Haïti de l'impasse. Quant à présent, ce que nous savons qui adviendra en 2004 n'est pas une grande célébration mais plutôt une descente vers une gouvernance à coup de décret. Le parlement actuel, issu des élections contestées de mai 2000, sera en grande partie caduc. La plupart des fonctions parlementaires, y compris l'approbation de nouveaux emprunts de la BID et d'ailleurs, ne seront plus possible. Quel genre de testament cela sera-t-il à la démocratie haitienne, aux héros de l'indépendance?

J'espère sincèrement que ce sombre scénario peut être évité. Le peuple mérite mieux. C'est pourquoi, comme vous le savez, nous avons choisi de concentrer nos efforts de célébration du Bicentenaire sur la profonde culture haïtienne. Le Festival de Vie Populaire du Smithsonian à Washington DC de la mi-juin à la mi-juillet se portera sur Haïti. La culture populaire haïtienne sera présentée au Mall, en plein cour de la Capitale de l'Amérique pour être vue et admirée de tous. Ce sera un grand pas positif pour l'image ternie d'Haïti aux Etats-Unis.

Mais pour en revenir à un thème antérieur, la Communauté Internationale ne peut pas sauver la démocratie en Haïti. Cela, les Haïtiens seuls le peuvent.

(Fin texte)                   

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