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Affiché le lundi 27 octobre 2003
                                   
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Deux centième de l'ancienne colonie française - la France doit-elle rembourser des milliards à Haiti?

Le président Jean-Bertrand Aristide a résolu de fêter le 200e anniversaire d’Haïti en frappant un grand coup. Il réclame de la France le remboursement de la dette que le petit pays a dû payer à son ex-métropole après la révolte - victorieuse - de ses esclaves. Incapable de résoudre la crise qui perdure depuis sa réélection, le président a trouvé dans l’ancienne puissance coloniale à la fois l’explication de la misère du peuple et sa solution.

Cet appel démagogique pourrait trouver un écho ailleurs, notamment en Afrique. Toute une école de pensée explique, en effet, les malheurs du tiers-monde par le trafic des esclaves ou la domination coloniale. Comme si les régimes en place aujourd’hui n’y étaient pour rien, non plus que les entreprises néo-coloniales.

Pour relancer le développement des pays pauvres, il faudrait, dit-on, que les pays qui ont profité des pratiques infâmes des siècles passés versent aujourd’hui des milliards en compensation des pertes, des dislocations et des retards qui ont été légués aux générations d’après. Depuis que des institutions occidentales, Églises chrétiennes en tête, demandent pardon pour leurs crimes passés, cette thèse s’est accréditée.

Il ne suffit pas de regretter les vieilles injustices, clame-t-on, il faut les réparer. Un problème de taille se pose toutefois. Ces compensations, à qui devrait-on les verser ? Aux victimes de l’époque ? Elles ne sont plus là. À leurs descendants ? Encore faudrait-il qu’on les retrouve et, surtout, qu’ils puissent en profiter.

Payer à qui ?

En Haïti, comme en d’autres ex-colonies, ceux qui auraient droit à cet argent, à un titre ou à un autre, risquent de ne jamais le toucher. Les fonds couleraient plutôt, comme une partie de l’aide versée depuis 30 ans, dans les comptes des dirigeants à l’étranger ou dans les gaspillages des nouvelles administrations.

Loin d’aider au développement économique ou à la démocratisation - deux objectifs déclarés de l’aide internationale - cet argent favorise la ruée sur le pouvoir et crée davantage d’obstacles à la modernisation des sociétés. Haïti est à cet égard un échec éloquent. Les millions versés par la France, le Canada, les États-Unis, s’ils ont parfois contribué à des projets valables, n’y ont pas changé l’état des choses.

Pour faire pression sur le régime lavalas, qui refuse de régulariser les dernières élections, les pays donateurs et les institutions internationales ont suspendu leur aide. Mal leur en a pris, l’argent de la cocaïne a assumé la relève, ajoutant la corruption à l’incompétence des services policiers. Aristide joue les fiers-à-bras à l’intérieur tout en faisant mine de défendre la souveraineté du pays contre l’ingérence extérieure.

Bien sûr, dans un autre contexte, le bicentenaire d’Haïti aurait évoqué le passé esclavagiste de nos sociétés, la révolte exemplaire de la Perle des Antilles, son influence sur l’émancipation des peuples en Amérique, et la nécessité de reprendre partout le combat contre la traite d’êtres humains. Hélas, le régime Aristide illustre plutôt les obstacles qu’un gouvernement inepte et corrompu pose au respect des droits et au progrès d’une société.

Certes, il ne manque pas en Haïti de milieux qui pourraient, malgré tout, contribuer au redressement national. Mais la dictature en place ne ménage rien pour empêcher la formation d’une alternative valable. On ne compte plus les assassinats de leaders sociaux, de journalistes, de fonctionnaires, de religieux. Si tous les tueurs n’appartiennent pas au pouvoir, la plupart jouissent d’une impunité à peu près complète. Policiers et juges soucieux d’appliquer la loi sont voués à l’exil.

Le gâchis est total, mais on aurait tort de l’expliquer seulement par l’héritage élitiste et autoritaire du pays. Les connivences, les demi-mesures et les erreurs des gouvernements extérieurs et de l’Organisation des États américains (OEA) ont aggravé les choses. Devant la famine « silencieuse » qui guette la moitié de la population, le déblocage de projets comme ceux que la FAO annonçait l’été dernier est justifié sans doute. On ne saurait en dire autant de toutes les autres mesures financières et politiques concoctées à l’étranger.

Ainsi, la Banque interaméricaine de développement (BID) a offert en juillet une enveloppe de 146 millions pour des projets de développement local, fonds à verser par étapes suivant le résultat des réformes politiques. La BID a même ajouté en août une offre de prêt de plus de 300 millions, comme si le pays avait besoin de s’endetter. Même le Canada y est allé d’une entente tarifaire sur le textile et les vêtements.

La carotte et le bâton

Haïti n’en est pas à sa première expérience avec la carotte et le bâton. Les fonds étrangers promis en cas de normalisation politique vont certainement stimuler la surenchère partisane, mais pas la démocratisation. Un pays qui n’a jamais connu de société libre chez lui ne peut en inventer une du jour au lendemain. Par contre, les groupes qui lorgnent la manne étrangère ont vite appris le jeu des boîtes de scrutin.

La transplantation de la démocratie flatte l’ego des gouvernements occidentaux ou des milieux de la coopération internationale. Mais ces opérations - dont raffolent le Canada et le Québec - ont donné le plus souvent des résultats éphémères. La présence d’observateurs ne garantit aucunement l’intégrité des suffrages. Elle ne protège surtout pas la population au lendemain des élections. Là où l’intimidation n’est pas de mise, la fraude sait pourvoir au résultat. Les règlements de comptes ont lieu plus tard.

Ce mois-ci encore, Amnesty International déplorait la montée de la violence en Haïti. Homicides, attaques, menaces, note son rapport, ne sont pas le seul fait du parti d’Aristide. D’autres formations y recourent. En fait, des rivalités sanglantes sévissent non seulement entre le pouvoir et l’opposition, mais au sein de l’une et l’autre mouvances. Faut-il s’en surprendre ?

Après 1986, les fauteurs de violence - bandits, anciens militaires ou policiers, gardes privés, tueurs à gages - n’ont pas été désarmés. Ils ont eu l’instinct de rentrer dans l’ombre quand les États-Unis ont réinstallé Aristide au Palais national. Une fois les 23 000 soldats de Washington repartis, les tueurs sont réapparus en force, avec l’assurance de ne jamais faire face à la justice. Leur nombre aura même augmenté avec la prolifération des « organisations populaires » au service du président.

Pendant qu’à Washington l’administration Bush manifestait de l’impatience jusqu’à lancer des ultimatums, le ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, formait à Paris un comité « de réflexion et de proposition », qui doit faire rapport en janvier. Il s’agit de « réorienter la relation franco-haïtienne » de manière qu’elle contribue avec les Haïtiens « de bonne volonté » et les partenaires régionaux de la France « à briser le cercle infernal » de ce pays.

Si la France savait comment sortir un pays du chaos, on s’en serait aperçu. Mais une chose ne fait aucun doute. Des réparations au titre de la colonisation ne feraient qu’enrichir des kleptomanes. Quant à aider directement les gens en détresse, c’est en faire des proies pour les psychopathes de Port-au-Prince. Ne vaudrait-il pas mieux rétablir la population haïtienne en d’autres pays ? Cet esclavage ne peut durer.

Leclerc, Jean-Claude.

Reproduit du journal Le Devoir, 27-10-03.                  

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