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Affichées le mardi 18 novembre 2003 |
Les Etats-Unis prêts à lâcher Aristide |
Les Etats-Unis, qui jouent un rôle dominant dans léconomie en ruine de Haïti, ont mis le président Jean-Bertrand Aristide au pied du mur : soit il réforme durgence son régime transformé en une dictature sanglante où règnent les bandes de voyous et les mafieux, et cela « dans les semaines ou les mois à venir », selon une source diplomatique américaine, soit Washington labandonnera à son sort, en nattendant pas forcément la fin de son second et dernier mandat présidentiel, qui doit sachever dici 2006. Malgré ces pressions, il ny a guère despoirs que M. Aristide, qui a déjà détruit la plupart des institutions publiques haïtiennes, samende. Vendredi dernier, lOrganisation des Etats américains (OEA), les Etats-Unis et la France lui avaient enjoint de respecter une manifestation de lopposition sur la place principale de Port-au-Prince. Ne tenant aucun de ses engagements, M. Aristide a demandé à ses supporters de bombarder de pierres les opposants, en les privant de parole. Américains et Européens vont donc infliger aujourdhui une humiliation au régime Aristide, en naccompagnant pas le dictateur haïtien ce 18 novembre sur le site de Vertières, où voici deux siècles, à lissue dune dernière bataille, Jean-Jacques Dessalines obtint du général de Rochambeau la capitulation de larmée française, forte de 40 000 hommes, envoyée par Bonaparte à Saint-Domingue pour y rétablir lesclavage. La commémoration de cette victoire des « Jacobins noirs », qui ouvrait la voie à lindépendance de Haïti le 1 er janvier 1804, était hautement symbolique pour M. Aristide, ce prêtre défroqué arrivé au pouvoir en novembre 2000 avec 92% des suffrages des électeurs, et dont le règne tourne au cauchemar pour huit millions de Haïtiens, plongés dans une misère effarante.
Port-au-Prince a connu vendredi dernier lune de ces journées qui marquent rituellement le combat vieux de deux siècles entre des dirigeants surgis de nulle part, comme des fusées serpentines, qui presque immanquablement se métamorphosent en despotes cruels, et leurs opposants qui payent leur courage de lexil ou de la mort. Le théâtre symbolique de cet affrontement est toujours « le Champ-de-Mars », le seul jardin de Port-au-Prince, quelques hectares de végétation rabougrie entre le palais présidentiel et lambassade de France.
Un Eden, dans cette capitale devenue depuis vingt ans un vaste bidonville, avec ses égouts à ciel ouvert, lélectricité parfois, leau rarement, les détritus partout, un cloaque incomparablement plus inhumain que Soweto. Port-au-Prince, cest Beyrouth dévasté par la guerre civile, sans les impacts de balles, mais avec une espérance de vie qui ne cesse de seffondrer (52 ans). Sur les guimbardes rouillées qui servent ici de transport en commun, les chauffeurs ont peint leurs devises : « Haïti implore la compréhension de ses fils ! », ou « Tant de vie, tant despoirs... ».
La langue, ici, est la seule poésie de lexistence. Haïti est née de lesclavage, dêtres humains auxquels on daignait tout juste lhumanité. De leur révolte, il y a deux siècles, il reste la colère : « Où est-elle, la révolution en Haïti, dit la journaliste Nicole Siméon. Ah oui, on peut dire que tout le monde est libre ici ! Mais ces millions de pauvres et analphabètes, nest ce pas une autre forme desclavage ? »
Vendredi dernier, donc, on avait repris rendez-vous avec la révolte sur le « Champ-de-Mars ». Lopposition, baptisée « Groupe des 184 », regroupe, pour la première fois dans lhistoire de Haïti, à peu près toutes les catégories sociales, des Blancs, des Métis, des Noirs, les Eglises catholiques, protestantes, les syndicats denseignants, de paysans et douvriers, les industriels, les associations de défense des droits de lhomme... « Une réunion de notables, encore coupés du peuple », estime le père Pierre Le Bellec, de la confrérie des Frères de saint Jacques. La « société civile » haïtienne, ? plus de 350 organisations diverses ? est unie contre Aristide derrière André Apaid, un homme daffaires de 52 ans, respecté de tous. « Nous voulons organiser une transition neutre, avec ou sans Aristide, comprendre pourquoi on en est arrivé là, mettre en place un nouveau contrat social, bâtir un nouvel Etat, renforcer et normaliser la vie politique de ce pays, dit-il, Haïti est au fond du trou, et le dessein dAristide est le contrôle absolu du pouvoir. Cest criminel ! » Sollicités par Le Figaro, ni M. Aristide ni ses proches nont voulu sexprimer. Jeudi 13 novembre, les conseillers du chef de lEtat sétaient engagés à laisser la première grande manifestation du « Groupe 184 » se dérouler pacifiquement dans la capitale. James Foley, lambassadeur des Etats-Unis en Haïti, avait prévenu : « Nous exhortons les autorités de lEtat à honorer la promesse faite par le président Aristide de permettre et de protéger la liberté dexpression. La communauté internationale observera de très près les manifestations. »
Mais dès laube vendredi, M. Aristide avait fait bloquer les accès de la ville par des camions immobilisés en travers des routes, qui paralysaient les transports, provoquant un gigantesque embouteillage. Puis les « Chimères », ses bandes armées recrutées dans les pires bidonvilles, envahissaient la « Champ-de-Mars ». La sono et les estrades du « Groupe 184 » étaient confisquées. André Apaid, à son arrivée sur la place, était insulté par des milliers de voyous en transe, qui hurlaient « Aristide roi ! ». Finalement, quelques milliers dopposants pouvaient se regrouper devant lambassade de France, avant dy être bombardés dune « pluie de roches », des grosses caillasses. Lintolérance politique ? un héritage de la conception du chef africain, où les armes et largent sont les symboles dun pouvoir qui se doit dêtre absolu ? nest pas une nouveauté en Haïti, mais elle y prend depuis deux ans des formes effarantes. Dabord, lancien prêtre sest accaparé le budget de lEtat, dont il contrôle personnellement 60% du montant. Après avoir dissous larmée, Jean-Bertrand Aristide sest doté depuis 1994 dune force de police denviron 5 300 hommes, dont il a fait écarter les cadres bien formés, en nommant à sa tête danciens gardes du corps, où même des policiers de base. « Ils ne valent strictement rien », constate un coopérant étranger.
Enfin, pour terroriser ses adversaires, les faire assassiner ou disparaître, il a fait recruter des milliers de désoeuvrés dans les bidonvilles, les « Zenglende », quil a réunis en bandes, les « Chimères », des esprits vaudous effrayants. Très régulièrement, il se débarrasse de leurs chefs devenus trop puissants, en les faisant tuer, puis en faisant mutiler leurs corps. Cest ainsi que le 22 septembre dernier, Amiot Metayer, chef de l« Armée cannibale » était criblé de balles près de la troisième ville du pays, Gonaïves, où il sévissait. « Dès quAristide se sent en difficulté, il liquide ses hommes de main les plus voyants, et à chaque fois, il se radicalise en sentourant de gens de moins en moins compétents », explique un diplomate occidental.
Confrontés à cette anarchie destructrice, les Américains adressent une sorte dultimatum à lun des pires dictateurs des Caraïbes. « La situation est critique, et les décisions à prendre par M. Aristide dans les semaines ou les mois à venir vont beaucoup peser sur la suite », dit-on, de source diplomatique américaine. « Le besoin de changement ne fait aucun doute, et la manière dont ce changement sopérera sera importante également », ajoute-t-on, en niant que le calendrier électoral de George W. Bush puisse amener ladministration américaine à rester passive face à ce chaos organisé. Lheure des comptes approche donc pour le prêtre défroqué.
Tous ceux qui le connaissent racontent son désir dentrer dans lhistoire de son pays, et en particulier dêtre lhomme qui aura célébré avec faste les deux siècles de la première révolution noire. Les Américains et les Européens ne participeront pas aujourdhui à la première étape de ces célébrations. Une façon de rappeler à M. Aristide que lhumiliation et la tyrannie ne sont plus à la mode, depuis deux cents ans déjà.
Reimprimé du journal Le Figaro du mardi 18 novembre 2003.
Affichées le vendredi 14 novembre 2003 |
Plusieurs blessés au début d'une manifestation à Port-au-Prince |
PORT-AU-PRINCE, 14 nov (AFP) - Plusieurs personnes ont été blessées par des jets de pierre vendredi dans le centre de Port-au-Prince au début dune manifestation organisée par des représentants de la société civile avec le soutien de lopposition au régime du président Jean Bertrand Aristide, a constaté un journaliste de lAFP sur place. Les pierres (photos) ont été lancées par des partisans du pouvoir, a-t-on précisé de même source.
La manifestation organisée par "le groupe des 184", rassemblement de représentants de la société civile et de chefs dentreprise, a commencé en milieu de journée dans le centre historique de la capitale haïtienne. Le rassemblement a été considérablement gêné par de nombreux contrôles policiers et des poids-lourds mystérieusement en panne sur les voies daccès à Port-au-Prince.
Lambassadeur des Etats-Unis en Haïti, James Foley, lambassadeur de France Thierry Burkard ainsi que le responsable de la mission de lOrganisation des Etats Américains (OEA), lambassadeur canadien David Lee, ont prévenu le gouvernement haïtien que le déroulement de cette manifestation sera suivi avec grande attention par la communauté internationale et aura valeur de test sur les intentions démocratiques des autorités haïtiennes.
Copyright 2003 Agence France-Presse
Affichées le mercredi 12 novembre 2003 |
Un rapport de l'ONU fustige la violence du régime du président Aristide |
L« état dimpunité à Haïti se substitue toujours plus à létat de droit » : le magistrat français Louis Joinet, nommé par Kofi Annan, le patron de lONU, pour enquêter sur les violations des droits de lhomme sur lîle des Caraïbes, lance un réquisitoire accablant contre le régime du président Jean-Bertrand Aristide.
Lhomme avait suscité lespoir en succédant, en 1990, à la dynastie des Duvalier (« Papa » et « Baby Doc »). Le rapport de Louis Joinet, qui sera officiellement déposé aux Nations unies le 15 décembre, dresse un sombre bilan du régime de lex-« prêtre des bidonvilles ». « La situation risque de devenir gravissime. Quand des policiers vous font comprendre quon leur demande de participer à des missions que leur conscience réprouve, quand des juges légalistes sont écartés, marginalisés, neutralisés ou confinés à lexil, quand des militants politiques sont traités de "terroristes", quand des victimes vous disent : "Je ne porterai pas plainte car, ici, être victime, cest déjà être coupable", quand des défenseurs des droits de lhomme ou des responsables de lONU sont invariablement traités de menteurs, comme je le serai peut-être moi-même, je leur dis : "Ne baissez pas la tête." »
Louis Joinet épingle les polices parallèles, en particulier les Brigades spéciales, connues par leur T-shirt noir portant linscription « BS », et « les attachés » (civils armés travaillant avec la police), chargés « dexécuter les basses oeuvres » du régime : arrestations arbitraires, tortures et exécutions sommaires dopposants. Selon le magistrat français, « il y a des éléments concordants qui établissent que ces polices parallèles sont aux ordres du Palais national ». En deux mois, elles auraient exécuté sommairement quelque 150 personnes.
Lexpert nommé par Kofi Annan constate que ces pratiques poussent à la démission et à lexil des « cadres éminents » de la police, « scandalisés ou désabusés », qui ont cru à leur mission. Quant à la magistrature, sa volonté dindépendance est pratiquement à chaque fois brisée dans loeuf. « Prenez les dernières affaires sensibles politiquement, qui impliquent soit des proches du régime, soit des policiers, et vous constaterez que les juges ont été démis de leurs fonctions, ou que ces affaires nont pas connu de conclusion. Lorsque des crimes politiques sont commis, il y a une ouverture denquête, généralement par linspection des polices mais, à ma connaissance, pas un seul cas na abouti jusquici. »
Autre source profonde dinquiétude : les organisations populaires, désormais en pleine dérive mafieuse. Loin de devenir les ferments « dune démocratie de proximité » qui auraient pu « consolider le processus de démocratisation », comme lespérait encore Louis Joinet dans un précédent rapport, elles se sont transformées « en groupes armés » chargés pour certains « de plus en plus systématiquement dempêcher les manifestations pacifiques » ou de jouer les agents provocateurs, « afin de justifier la répression » des opposants.
Suite à lenquête de lONU, les autorités de Port-au-Prince ont confirmé que les Brigades spéciales étaient en voie de dissolution, « une mesure de correction contre certaines déviances qui existaient », selon le commissaire Evens Sainturné, inspecteur général de la police nationale .
Une annonce accueillie avec le plus grand scepticisme par les défenseurs des droits de lhomme à Haïti.
Pierre HAZAN
Reimprimé du journal Libération du 12 novembre 2003.
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